Va-t-il y avoir un nouveau géant du search ? (Google et les conséquences de la décision antitrust)
#22 Les brutes acquiz by Coudac
“La Cour refuse d’imposer des sanctions”
C’est le titre du dernier paragraphe du rapport de 277 pages publié le 5 août par le juge Amith Mehta, en charge du cas antitrust contre Google. Avant de sanctionner la firme californienne, le Department of Justice (DOJ) souhaite prendre son temps.
Certainement parce que l’enjeu est de taille, le tribunal a conclu que la moitié des requêtes faites aux Etats Unis avaient été réalisées dans le cadre d’accords exclusifs anti-compétitifs :
28% des requêtes passent par des points d'accès de recherche couverts par l'accord Google-Apple
19,4% des requêtes passent par des accords avec les fabricants d'équipements d'origine (OEM) Android et les opérateurs mobiles
2,3% des requêtes passent par des points d'accès de recherche sur des navigateurs tiers, tels que Firefox
Tout ça vaut son pesant de cacahuètes pour Google : presque 1/5 de ses revenus issus de la pub sur les moteurs de recherche, juste pour iOS.
“En 2020, la modélisation interne de Google prévoit qu'il perdrait entre 60 et 80 % de son volume de requêtes iOS s'il était remplacé en tant que GSE (general search engine) par défaut sur les appareils Apple, ce qui se traduirait par des pertes de revenus nets comprises entre 28,2 et 32,7 milliards de dollars.“ page 30, rapport du juge Mehta
On ne sait pas encore quels remèdes seront prescrits par le juge mais le rapport indique déjà clairement les maux qu’ils devront soigner. La résolution de 4 d’entre eux aura un impact colossal sur le marché de la pub sur les moteurs de recherche.
Il a été reconnu que les accords d’exclusivité (1) ont permis à Google d’imposer des prix supracompétitifs pour les annonces textuelles, (2) excluent une part substantielle du marché aux compétiteurs, (3) les privent des bénéfices engendrés par le fait “d’être à l'échelle”, (4) réduisent les incitations à l'investissement dans des solutions concurrentes.
Etudions ensemble les caractéristiques d’un monde où ces 4 propositions seraient fausses.
Cette article complète ma tribune parue ce matin dans le JDN.
Un meilleur contrôle sur les pratiques de pricing monopolistiques
Le verdict ne devrait pas remettre en cause la position monopolistique de Google sur le marché du search, ce n’est d’ailleurs pas ce qu’interdit la section 2 du Sherman Act (dont il est question dans ce procès). Aux USA, on a le droit d’être un monopole mais pas de l’avoir acquis ou maintenu avec des tactiques qui excluent injustement les concurrents (ce qui est le cas pour les 3 accords sus-mentionnés).
“Une fois le monopole atteint et en supposant l'existence d'importantes barrières à l'entrée, le monopoliste peut fixer un prix qui maximise ses profits sans se préoccuper outre mesure du comportement des autres entreprises sur le marché. C'est précisément la façon dont Google a abordé la fixation des prix de ses publicités.” Page 263, rapport du juge Mehta
En revanche, la Cour est désormais très sensible aux combines employées par Google pour extraire le maximum de profit auprès d’annonceurs trop dépendants de sa régie pour croître.
“Google a utilisé divers « boutons de tarification » pour obtenir des augmentations, souvent entre 5 et 15 % à la fois, sans que les dépenses des annonceurs ne se déplacent de manière significative vers les concurrents. Les expériences publicitaires ont systématiquement montré que Google atteignait un taux de rétention de 50 % pour ses ajustements de prix, […]. Google a également ajusté les boutons de prix lorsque cela était nécessaire pour atteindre les objectifs de revenus périodiques.” page 259, rapport du juge Mehta
La plus connue d’entre elle a été révélée l’année dernière par Jerry Dischler ex-Google, appelée en interne “secouer les coussins”.
“Selon M. Dischler, Google modifie son processus d'enchères de telle sorte que les prix ont pu augmenter par le passé de 5 % pour l'annonceur type et pourraient même avoir augmenté de 10 % pour certaines requêtes. Les parties qui achètent les publicités n'étaient pas au courant de ces « ajustements » des prix ; « nous avons tendance à ne pas informer les annonceurs des changements de prix », a déclaré M. Dischler “
Ces pratiques ont certes surtout été mises en avant pour attester d’une position monopolistique mais il est probable que les futures tentatives soient plus rares car scrutées par la justice.
Un nouveau marché disponible : les défauts iOS, Android et Mozilla
Le rapport est très éclairant sur la place du canal d’acquisition “moteur de recherche par défaut” pour monopoliser les requêtes.
« Le tribunal a déjà constaté que les placements par défaut préchargés constituent le canal le plus efficace pour atteindre les consommateurs de recherche, et Google a obtenu tous les principaux placements (à l'exception du placement par défaut sur le navigateur Edge préchargé sur les appareils Windows). […]. Bien sûr, les utilisateurs peuvent accéder aux rivaux de Google en changeant de point d'accès à la recherche par défaut ou en téléchargeant une application de recherche ou un navigateur rival. Mais la réalité du marché est que les utilisateurs le font rarement. ». Page 209, rapport du juge
En 2020, seulement 5 % des requêtes étaient captés par l'intermédiaire d'un moteur de recherche qui n’était pas celui par défaut.
Google a tenté de se défendre en expliquant que les utilisateurs finaux étaient libres de basculer vers un navigateur concurrent mais le juge Mehta n’a pas tenu compte de cette apparente mauvaise foi (pourquoi alors payer 26 milliards par an aux partenaires qui font de Google leur défaut ?).
L’issue la plus probable est que ces accords seront défaits. La question est : que se passera-t-il ensuite ?
Le Sherman Act interdit uniquement aux sociétés jugées en position de monopoles de passer ce type de contrat, Bing, avec 6% du marché, serait donc théoriquement en droit de passer le même contrat avec Apple et mettre ainsi la main sur 50% des requêtes aux USA. Modulo la part conséquente d’utilisateurs qui rebasculeraient vers Google, car “Google est le grand gagnant lorsqu'il s'agit de l'expérience produit et des attentes des utilisateurs” déclare Mozilla eux-mêmes.
Apple serait dans une situation délicate : nouer un nouveau contrat avec un moteur de recherche aux performances inférieures, au détriment de ses utilisateurs, ou proposer un écran de choix non biaisé, qui donnerait très certainement Google gagnant, pour 20 millards de moins …
Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’un nombre colossal de requêtes pourrait faire l’objet d’une bataille concurrentielle et potentiellement donner à un acteur du search le scale nécessaire pour faire contrepoids à Google.
Vers un duopole en search ?
“Les accords d'exclusivité de Google ont un deuxième effet anticoncurrentiel important : Ils empêchent les rivaux d'accéder aux requêtes des utilisateurs, ou à l'échelle, nécessaire pour rivaliser efficacement. L'échelle est la matière première essentielle pour construire, améliorer et maintenir un General Search Engine.” Page 161
En privant les concurrents de ces requêtes, Google s’assure aussi d’être le seul à pouvoir les utiliser pour améliorer la pertinence de ses résultats, ce qui consolide son avantage concurrentiel. Le rapport décrit très clairement le procédé (le juge a même fourni même un schéma lol).
“(1) Plus de données utilisateur permet à un GSE d'améliorer la qualité de la recherche, (2) une meilleure qualité de la recherche attire plus d'utilisateurs et améliore la monétisation, (3) plus d'utilisateurs et une meilleure monétisation attirent plus d'annonceurs, (4) plus d'annonceurs signifie plus de revenus publicitaires, et (5) plus de revenus publicitaires permet à un GSE de dépenser plus de ressources sur les coûts d'acquisition du trafic (c'est-à-dire les paiements de partage des revenus) et les investissements, qui permettent l'acquisition continue d’échelle. “Page 231
A ce jeu là, Google est roi.
“Treize mois de données d'utilisateurs acquises par Google équivalent à plus de 17 ans de données sur Bing.” Page 37
On pourrait donc voir un acteur existant (Bing, DuckDuckGo ou Ecosia) gagner des parts de marché et lancer un cycle vertueux dangereux pour Google, et pourquoi pas installer d’ici quelques années une nouvelle régie majeure en SEA.
A moins qu’un nouvel entrant viennent chambouler le marché.
Apple et son moteur de recherche ?
“Les plaignants affirment que les milliards de dollars qu'Apple reçoit en partage de revenus sont, en fait, un paiement pour maintenir Apple à l'écart du marché de la recherche.“ page 240
Dans toute cette affaire, Apple est certainement le plus gros perdant. Dans les faits ils étaient payés 20 milliards de $ pour ne rien faire. Ce montant correspond aux coûts de développement d’un moteur pour Apple.
“Fin 2020, Google a estimé combien il en coûterait à Apple de créer et de maintenir un GSE capable de concurrencer Google. Google « estime que les dépenses totales en capital nécessaires [pour Apple] pour reproduire l'infrastructure [technique de Google] dédiée à la recherche seraient de l'ordre de 20 [milliards] de dollars “. page 22
On comprend mieux pourquoi il a été conclu que ces accords avaient eu pour principal effet de repousser toute tentative de faire concurrence à Google. La liste des entreprises pouvant investir 20 milliards de $ (10 milliards pour le développer, 4 milliards en coût d’infrastructures et 7 milliards en coûts opérationnels) dans ce projet n’est pas longue, d’autant plus que tout le monde n’a pas le même point de départ qu’Apple.
“Apple a pris des mesures pour accroître ses capacités dans le domaine de la recherche. En 2018, elle a embauché l'ancien chef de Google Search, John Giannandrea, en tant que chef de l'apprentissage automatique et de la stratégie d'IA. Sous sa direction, Apple s'est engagé de manière significative à développer certains éléments fondamentaux d'un GSE, notamment le crawling et l'indexation du web et la création d'un graphe de connaissances.” Page 104
Le géant à la pomme pourrait s’autoproclamer moteur de recherche par défaut sur iOS et capter 50% des requêtes américaines. Certaines acquisitions pourraient même accélérer le processus, la rumeur court qu’Apple lorgnerait sur Perplexity, moteur de recherche dopé à l’intelligence artificielle.
Un risque majeur quand on sait que Google argumentait lui-même que l’IA était aussi importante que les données des utilisateurs pour améliorer les performances de son moteur de recherche.
“[Google] affirme que les nouveaux modèles de classement reposent sur moins de données, certains étant entièrement pilotés par l'IA, de sorte que les GSE d'aujourd'hui dépendent moins des données des utilisateurs pour améliorer la qualité et être compétitifs.” Page 232
Où peut-être est-ce de la mauvaise foi ?
Affaire à suivre
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Est-ce que l'on peut s'attendre à une class action contre Google concernant leur "bouton de tarification" et leur "secouage de coussins" ?