En tant qu'acteur du marché publicitaire digital, Snapchat a longtemps été considéré comme une plateforme essentiellement orientée vers la notoriété et le haut de funnel. Cependant, depuis quelques années, l'entreprise opère un virage stratégique majeur pour conquérir le segment du bas de funnel et séduire les petits et moyens annonceurs. Analyse d'une transformation en cours qui redessine son modèle économique et ses perspectives de croissance.
Un acteur modeste dans un marché dominé par les géants
Le marché publicitaire mondial représente aujourd'hui près de 800 milliards de dollars. Dans cet écosystème, le duopole Meta-Google capte à lui seul 50% des investissements. Snapchat, avec ses 0,8% de parts de marché, doit se battre pour exister face à des concurrents comme TikTok qui prend de l'avance, ou Pinterest qui le talonne.
Pourtant, depuis 2014 et l'introduction des formats publicitaires Snap Ads, la plateforme affiche une courbe de revenus en progression constante, malgré un plateau observé en 2021 suite à l'introduction de l'ATT (App Tracking Transparency) d'Apple. Un point d'inflexion est visible début 2023, avec un retour à une croissance d'environ 15%, alignée sur celle du marché.
L'ADN produit de Snapchat : force et frein à la monétisation
Snapchat s'est d'abord imposé comme une entreprise pilotée par l'innovation produit. Inventeur des stories (rapidement copiées par Meta), pionnier dans l'utilisation centrale de la caméra au sein d'une application sociale, Snapchat a toujours fait preuve d'une forte capacité d'innovation. Cette orientation produit expliquerait le déploiement tardif et progressif de son modèle de monétisation publicitaire.
La spécificité de l'audience Snapchat représente à la fois une force et un défi. Certes, la plateforme dispose d'une forte pénétration chez les jeunes, mais elle n'est pas absente des segments démographiques plus âgés. Plus significativement encore, elle bénéficie d'une audience en partie exclusive, que l'on ne retrouve pas sur les autres plateformes sociales comme TikTok.
Le défi du "soft marketing" pour une audience réfractaire
La particularité de l'audience Snapchat réside dans sa relation à la publicité. Là où 60% des utilisateurs d'Instagram et 50% de ceux de TikTok déclarent utiliser ces plateformes pour suivre des marques et des produits, seuls 25% des utilisateurs de Snapchat partagent cette motivation
Cette audience, qui privilégie le cadre privé et ludique de l'application, se montre plus réfractaire aux intrusions publicitaires. Les conséquences sont mesurables : des taux de clic généralement plus faibles que sur Meta et des taux de conversion inférieurs, reflétant des intentions d'achat historiquement moins développées sur la plateforme.
Le virage stratégique vers le bas de funnel
Face à ce constat, Snapchat a opéré un changement de cap significatif ces dernières années. Evan Spiegel, le fondateur, a identifié comme priorité absolue l'acquisition d'annonceurs PME recherchant du bas de funnel, constatant que ces annonceurs, une fois convaincus par les performances de la plateforme, deviennent plus fidèles ("sticky") que ceux investissant uniquement en notoriété.
Pour y parvenir, l'entreprise a déployé une stratégie en plusieurs axes :
Omniprésence publicitaire : introduction de formats publicitaires dans tous les espaces de l'application, y compris les messages privés – un changement radical par rapport à la philosophie initiale de la plateforme.
Développement accéléré des fonctionnalités publicitaires : adoption d'outils semblables à ceux de Meta, comme la fenêtre d'attribution de 7 jours, les campagnes optimisées pour la page d'arrivée, ou encore le budget optimisé par campagne (CBO).
Intégration avec GA4 : pour permettre aux annonceurs de vérifier l'efficacité réelle de leurs campagnes via un tiers, au-delà des métriques natives de la plateforme.
Des résultats encourageants mais un potentiel encore limité
Les premiers résultats de cette réorientation stratégique semblent positifs. Snapchat revendique une augmentation de 22% du nombre d'annonceurs et une amélioration de 34% des taux de conversion. L'exemple de Bitecone, marque alimentaire et client Coudac, démontre qu'il est possible d'obtenir sur Snapchat des coûts par acquisition (CPA) équivalents à ceux de Meta, en suivant quelques bonnes pratiques :
Ciblage en "broad" (sans restriction), laissant l'algorithme identifier les utilisateurs les plus susceptibles de convertir
Créations publicitaires naturelles de type UGC (contenu généré par les utilisateurs)
Produits avec un fort "effet wow" identifiable en une seconde
Cependant, malgré ces performances, Snapchat souffre encore du "syndrome de la petite plateforme" : même quand les résultats sont au rendez-vous, le volume d'investissement reste limité comparativement à Meta. Là où un annonceur performant parvient à allouer jusqu'à 15% de son budget social à Pinterest, les proportions sont similaires pour Snapchat et TikTok.
Le kit de base pour se lancer sur Snapchat
Pour les annonceurs envisageant d'explorer Snapchat, trois critères semblent déterminants :
L'état de l'annonceur : avoir atteint un plafond sur Meta et Google et chercher à diversifier ses canaux d'acquisition
La capacité à produire des créations organiques adaptées à l'esprit de la plateforme
Proposer des produits avec un fort "effet wow" visible en une seconde ("one second marketing")
Il faut toutefois noter que, comme pour toute plateforme sociale, l'investissement créatif nécessaire est conséquent et le volume d'investissement média restera probablement limité comparativement aux plateformes dominantes.
Perspectives d'avenir : messagerie et réalité augmentée
Parmi les axes de développement les plus prometteurs pour Snapchat figurent :
La publicité dans la messagerie : à l'instar de WhatsApp qui génère plusieurs milliards de revenus pour Meta, la messagerie de Snapchat pourrait devenir un levier majeur de monétisation, particulièrement adaptée à la vente conversationnelle.
L'amélioration continue des algorithmes d'optimisation pour mieux capter les signaux d'intention d'achat.
L'exploitation du potentiel de la réalité augmentée, domaine où Snapchat dispose d'une expertise reconnue.
Le développement de Snapmap comme nouveau territoire publicitaire à explorer.
Conclusion : une évolution nécessaire dans un écosystème compétitif
Le virage stratégique de Snapchat vers la performance et le bas de funnel répond à une nécessité économique dans un marché publicitaire dominé par le duopole Meta-Google. Si l'ADN produit et la spécificité de son audience constituent à la fois des atouts différenciants et des défis à surmonter, les premiers résultats de cette transformation semblent encourageants.
Pour les annonceurs, particulièrement ceux ayant atteint une limite d'efficacité sur les canaux dominants, Snapchat représente une opportunité de diversification intéressante, à condition de maîtriser les codes créatifs de la plateforme et de proposer des produits adaptés au "one second marketing".
L'avenir dira si cette stratégie permettra à Snapchat de sortir durablement de l'ombre des géants et de s'imposer comme un acteur incontournable du paysage publicitaire numérique.
Théo
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