Depuis 18 mois, les géants de la publicité digitale – Meta, Google, TikTok, Pinterest – affichent tous une stratégie similaire : promouvoir agressivement leurs outils publicitaires automatisés. Que ce soit ASC+ chez Meta, Pmax chez Google, Smart Plus chez TikTok ou Performance Plus chez Pinterest, la promesse est claire : reprendre le contrôle des campagnes publicitaires traditionnellement gérées par les media buyers, en automatisant le ciblage, l’allocation budgétaire et l’optimisation via le machine learning et les immenses volumes de données utilisateurs.
L'offensive stratégique des régies publicitaires
L'objectif de ces plateformes est limpide : reprendre la main sur les éléments clés du paramétrage des campagnes, à commencer par le ciblage, une compétence historiquement détenue par le media buyer. Ces nouveaux produits promettent d'être plus performants grâce à leur maîtrise du machine learning et leur accès massif aux données utilisateurs.
Cette évolution répond à une réalité économique incontournable : le marché publicitaire est majoritairement constitué de petits et moyens annonceurs pour qui la complexité technique représente une barrière considérable. C'est précisément là que le media buyer jouait un rôle essentiel, en comblant ce fossé de connaissances techniques. Les régies cherchent aujourd'hui à supprimer cette friction supplémentaire : l'intervention humaine.
Les promesses séduisantes de l'automatisation
Les nouvelles campagnes de Meta et Google partagent une promesse commune : simplifier considérablement le paramétrage publicitaire tout en garantissant des performances supérieures à celles obtenues manuellement par des spécialistes.
ASC+ (Advantage Plus Shopping Campaigns) de Meta prétend gérer de façon quasi autonome le ciblage, la répartition budgétaire et l'optimisation des publicités. Google suit la même logique avec Pmax, qui étend cette automatisation à l'ensemble de son écosystème – du Search à YouTube, en passant par Gmail et le Display.
Dans leur communication, ces régies mettent en avant la capacité de l'IA à prendre des décisions plus rapides et pertinentes que les humains. En observant un volume considérable de signaux et en ajustant en continu les enchères et placements, elles promettent de maximiser les conversions sans qu'un media buyer doive affiner chaque paramètre. L'idée est séduisante : fournir un budget et quelques créations suffirait à obtenir de meilleurs résultats qu'avec une méthode traditionnelle, tout en gagnant un temps précieux.
L'autre promesse majeure concerne l'attribution. Google et Meta affirment pouvoir identifier précisément quels points de contact génèrent des conversions, permettant ainsi de concentrer les dépenses sur les emplacements les plus performants.
Une réalité terrain plus nuancée
Les retours d'expérience de nos consultants Coudac révèlent une réalité plus contrastée. Sur Meta, ASC+ suscite généralement l'enthousiasme. Les campagnes sont effectivement plus simples à paramétrer et l'acquisition reste souvent à un coût acceptable, voire inférieur à celui des campagnes classiques.
Sur cinq clients récents utilisant ASC+, trois ont affiché des CPA (coût par acquisition) meilleurs qu'en configuration manuelle, un a obtenu des résultats équivalents, et un seul a mieux performé avec le paramétrage classique. Si cet échantillon n'est pas statistiquement significatif, il suggère néanmoins que la promesse de simplification est tenue et que le gain de temps est réel.
Côté Google, Pmax inspire davantage de prudence. Si la quasi-totalité des consultants sont passés au moins partiellement à ce format automatisé, la plupart continuent également d'utiliser des campagnes traditionnelles. Environ 30% estiment que Pmax apporte un bénéfice supplémentaire, tandis que 70% jugent que les résultats ne sont pas fondamentalement supérieurs aux configurations classiques.
Ils observent que l'algorithme, lorsqu'il est laissé à lui-même, tend parfois à orienter la diffusion vers des emplacements moins qualifiés ou rend plus difficile le contrôle précis des dépenses. La multiplicité des emplacements disponibles sur Google (YouTube, Gmail, Display, Search, Shopping) complexifie l'automatisation parfaite, et rien ne garantit que tous fonctionneront de manière optimale ou que la répartition budgétaire sera toujours pertinente.
L'évolution, non la disparition du media buyer
Si le ciblage et l'allocation budgétaire – historiquement au cœur du rôle du media buyer – sont progressivement automatisés, cela signifie-t-il la fin de cette profession ? La réalité semble un peu plus subtile.
Les campagnes Pmax nécessitent encore une vigilance humaine pour éviter que Google n'oriente le budget vers des placements moins rentables. Sans supervision et sans nettoyage régulier des termes de recherche ou des pages de destination, on risque de surdépenser sans retour sur investissement satisfaisant. Même avec ASC+, qui donne généralement des résultats positifs, il est souvent nécessaire d'affiner les paramétrages ou de concevoir des stratégies créatives adaptées.
Ces ajustements techniques démontrent qu'un regard humain reste indispensable. Mais surtout, l'émergence de ces outils transforme la valeur ajoutée du media buyer, qui se concentre désormais sur trois axes majeurs : la stratégie, la création et l'analyse macro de la rentabilité.
L'avènement du Performance Manager
En se libérant des tâches techniques liées au paramétrage des audiences, le media buyer peut enfin se concentrer sur l'aspect stratégique de son métier : choisir la meilleure combinaison de canaux, de concepts créatifs et de messages publicitaires pour atteindre les objectifs d'une marque.
L'IA ne se préoccupe pas de savoir s'il serait judicieux de réorienter une partie du budget vers TikTok ou Pinterest à un moment donné. Elle ne réalise pas non plus de veille concurrentielle ou d'audit de marché. Cette réflexion d'ensemble incombe désormais à celui qu'on appelle de plus en plus le "performance manager".
Au cœur de ce rôle évolué se trouve le suivi précis de l'incrémentalité des ventes, afin de vérifier que le ROAS (retour sur dépense publicitaire) affiché par la plateforme n'est pas artificiellement gonflé par des conversions qui auraient eu lieu même sans publicité. Il s'agit aussi de challenger les algorithmes, car il ne faut jamais oublier que Google et Meta cherchent avant tout à optimiser leur propre inventaire, quitte à orienter les budgets vers des emplacements moins performants mais plus rentables pour eux.
Autre point essentiel : le performance manager est garant de la diffusion du bon message au bon endroit. Si l'IA aide à tester différentes variantes, elle ne peut remplacer la créativité humaine, la connaissance intime du public cible ou l'adaptation fine aux différents formats publicitaires.
Conclusion : évolution plutôt que révolution
Les produits automatisés de Google et Meta ne marquent pas la fin du media buying, mais plutôt sa transformation. La configuration basique des audiences et des enchères est désormais gérée par l'IA, ce qui permet aux professionnels de se recentrer sur des aspects à plus forte valeur ajoutée : création, stratégie globale et analyse de la rentabilité réelle.
Les régies publicitaires y trouvent un double avantage : attirer davantage de petits et moyens annonceurs en supprimant la barrière technique, et reprendre le contrôle de la répartition des budgets pour mieux exploiter tous leurs emplacements, y compris ceux que les media buyers considèrent parfois comme peu rentables.
En 2025, les media buyers qui se limitent à manipuler des réglages d'audience auront probablement disparu. En revanche, ceux qui embrassent le rôle de performance manager, en développant une expertise créative et stratégique, continueront d'apporter une réelle valeur ajoutée dans l'écosystème publicitaire digital en pleine mutation.
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