Google Search, tel que nous l'avons connu pendant deux décennies, était un mécanisme d'intermédiation : une interface neutre dont la fonction était de diriger l'utilisateur vers les meilleures ressources du web. Mais depuis l'introduction des AI Overviews en 2024 et le lancement d'AI Mode en 2025, cette logique est progressivement remplacée. Google ne se limite plus à organiser le web : il en extrait la substance pour construire des réponses internes, préempter les parcours utilisateurs et capter l'attention dans son propre environnement.
Cette transformation est d'une portée considérable. Elle modifie les règles d'accès à l'information, reconfigure la chaîne de valeur de la publicité en ligne et affaiblit le modèle déjà fragile de nombreux éditeurs. Elle engage aussi une réflexion plus large sur la dépendance informationnelle à un acteur unique. Comprendre la mécanique de ce basculement, c'est décrypter l'évolution structurelle du web tel qu'il se redessine.
De l'index à l'interface : transformation de l'outil de recherche
Pendant vingt ans, le rôle de Google Search a été celui d'une infrastructure d'accès au web fondée sur des logiques de classement. L'utilisateur exprimait un besoin via une requête, et le moteur renvoyait une page de liens, ordonnés selon des critères objectifs (pertinence, autorité, fraîcheur). Le clic sortant constituait l'objectif, et tout l'écosystème publicitaire et éditorial s'était aligné sur cette mécanique.
Avec AI Overviews, ce paradigme s'efface. Depuis son lancement, la fonctionnalité génère une réponse synthétique directement dans la SERP, réduisant l'utilité des liens bleus. Google revendique 1,5 milliard d'utilisateurs mensuels de cette fonctionnalité en avril 2025, dans plus de 140 pays. Selon Semrush, la proportion de requêtes affichant une AI Overview a doublé en deux mois, passant de 6,5 % en janvier 2025 à 13,1 % en mars.
Et surtout, ces réponses IA sont monétisées "au même niveau" que les résultats classiques. Autrement dit, Google atteint le même niveau de revenu avec moins de clics sortants. Sur certains sites, les effets sont immédiatement mesurables : la position organique #1 perd en moyenne 34,5 % de son taux de clic lorsqu'une AI Overview est présente (Ahrefs).
AI Mode, intégré à la recherche Google depuis mai 2025, va plus loin. L'interface conversationnelle est fondée sur Gemini 2.5, qui décompose la requête, anticipe les sous-intentions, propose des enrichissements (visuels, comparatifs, recommandations) et oriente vers des pages internes ou partenaires. C'est un mode de recherche qui se déploie en entonnoir : la page de résultat unique est remplacée par une exploration successive et personnalisée.
Pour les marketeurs, cela implique une transformation profonde du funnel. Les points de contact ne sont plus alignés sur les positions dans la SERP mais sur la capacité à apparaître dans la logique rédactionnelle de l'IA. L'awareness passe par la reconnaissance de marque dans la synthèse. La consideration s'opère via la pertinence de l'offre mentionnée. Et la conversion peut avoir lieu directement dans l'interface si l'utilisateur achète via un module Google (ex : virtual fitting room, Google Shopping).
Donnés, personnalisation et monétisation : une infrastructure commerçante
L'efficacité d'AI Mode repose sur la structure technique de Google : une interconnexion de ses produits (Search, Gmail, Drive, Maps, Chrome) et une capacité à mobiliser les données issues de ces usages pour calibrer chaque réponse.
Lors de Google I/O, Sundar Pichai explique que Gemini peut personnaliser une réponse selon les emails récents, les habitudes de langage, les documents stockés dans Drive. L'utilisateur n'interagit plus avec un moteur générique, mais avec une IA adaptée à ses données comportementales et historiques. Cela décuple la pertinence perçue — mais aussi la valeur commerciale des requêtes.
Publicitairement, AI Mode exploite les campagnes Search et Shopping existantes. Les annonces sont injectées dans le fil conversationnel, avec les mêmes modèles de pricing (CPC, CPA, ROAS). Les requêtes dans AI Mode sont deux à trois fois plus longues que les requêtes traditionnelles (Digiday), ce qui indique un degré de granularité et de segmentation à fort potentiel pour les campagnes.
Pour un directeur marketing, cela signifie que le ciblage ne se fait plus uniquement sur la base de mots-clés, mais sur la compréhension contextuelle des intentions. Les campagnes doivent s'aligner sur des signaux faibles, être adaptées au dialogue, à la reformulation, à la personnalisation. Les assets publicitaires (titres, descriptions, pages de destination) sont générés dynamiquement par AI Max. L'optimisation se fait à la volée. Ce n'est plus la campagne qui structure le résultat, c'est le résultat qui module la campagne.
Cette configuration avantage les marques qui disposent de profondeur d'offre, de contenus adaptables, d'une stratégie omnicanale solide. Elle défavorise les modèles dépendants du lien unique, de la page figée, ou de l'optimisation ponctuelle.
Réorganisation du paysage : visibilité contre trafic
Les éditeurs et les marques doivent faire face à une érosion systémique du trafic. Le Daily Mail annonce une baisse de 56 % de son CTR sur desktop depuis le lancement des AI Overviews. D'autres sites rapportent des chutes de 15 à 30 % de leurs pages vues en l'espace de quelques mois (Press Gazette, Semrush).
Le modèle du clic est remplacé par un modèle de présence. Mais cette présence est difficilement traçable. Les citations dans AI Mode ou AI Overviews ne sont pas systématiquement liées. Et les outils de tracking ne permettent pas aujourd'hui de mesurer la portée effective des mentions. Google annonce que des indicateurs seront bientôt disponibles, mais le pilotage est encore opaque.
Les SEO tools historiques deviennent inopérants. Les algorithmes IA ne rankent pas des pages : ils sélectionnent des extraits, des assertions, des sources utiles. Le contenu optimisé ne vaut que s'il alimente une synthèse. Ce qui importe, c'est la richesse informationnelle, la clarté, la structure, la vérifiabilité.
Les stratégies de contenu doivent évoluer. L'optimisation pour IA suppose de structurer ses pages comme des bases d'extraits exploitables : paragraphes courts, titres explicites, réponses directes aux intentions sous-jacentes. Pour les e-commerçants, cela implique d'intégrer des FAQ enrichies, des tableaux comparatifs, des réponses synthétiques adaptées au cloaking LLM.
La marque devient un signal d'autorité. Pour être citée dans une réponse IA, elle doit apparaître dans des sources de référence, être relayée sur des plateformes à forte crédibilité (forums, Reddit, YouTube, .gov/.edu). Il s'agit d'élargir sa surface de validation sociale et algorithmique.
La fin du moteur de recherche
En 2025, Google Search n'est plus un moteur d'accès au web. C'est un environnement conversationnel personnalisé, alimenté par l'IA, qui centralise la requête, la réponse, la recommandation et la transaction.
Pour les marketeurs, cela change tout. Le parcours utilisateur n'est plus observable, le clic n'est plus la métrique centrale, et la page de destination n'est plus le terrain de jeu principal. La stratégie d'acquisition doit se déplacer vers la captation d'attention contextuelle, la présence dans les réponses IA, et l'autorité perçue comme facteur de citation.
Le web s'organise autour d'un acteur unique. Pour exister, il faut être pertinent dans la synthèse algorithmique. La logique de référencement devient une logique de contribution utile. Et le marketing digital, tel qu'il a fonctionné pendant vingt ans, est déjà en train de se recomposer.
On approfondit le sujet dans notre dernière vidéo Youtube dispo ici :