2025 : Le duopole Meta-Google est en danger
#34 Les Brutes acquiz - Aux avants garde de la pub en ligne
En 2025, et pour la première fois depuis une décennie, il est estimé que Google détiendra moins de 50 % du marché des publicités sur les résultats de recherche aux États-Unis.
C’est loin d’être anecdotique, car le search représente 306 des 740 milliards de dollars du marché de la publicité en ligne.
Ce qui est intéressant, c’est que cette dynamique n’est pas liée à l’arrivée des agents IA (Chat Gpt, Perplexity & friends), car on parle bien du marché publicitaire et non des requêtes or les revenus publicitaires de tous les nouveaux challengers auxquels on pense sont souvent minimes, voire inexistants.
Il existe en réalité des menaces beaucoup plus urgentes qui pèsent sur le géant californien de la publicité, et nous allons les examiner ensemble.
Ce qui se passe dans le secteur du search est le reflet d’une tendance de fond qui touche tout le marché du marketing digital : la fragmentation du marché de la publicité que Meta et Google tiennent d’une main de fer depuis plus d’une décennie.
Sur la seconde moitié de 2024, on a toutefois pu voir les premiers signes d’un effritement qui n’apparaît pas encore dans les résultats financiers.
Nous nous en sommes rendu compte chez Coudac grâce à notre position d’agrégateur sur le marché. En tant qu’agence, nous brassons chaque mois un volume important d’annonceurs et bénéficions d’informations privilégiées auprès de toutes les grandes régies publicitaires, dont certaines ne sont pas encore publiques.
Dans cette analyse, j’explique pourquoi les menaces sur le duopole Meta-Google sont déjà là, puis j’étudie la crédibilité de chacune. J’évoque ensuite la troisième vague de la publicité en ligne, en train de dépasser le search et le social, avant de présenter la stratégie des deux géants pour y faire face. Je vous donne un petit spoiler : pour ne pas se faire « manger », ils veulent « manger » quelqu’un d’autre.
PS : On vient de sortir cette vidéo d’analyse sur YouTube, cette newsletter est son complément.
Partie 1 : Une attaque concrète sur leurs chasses gardées
La première chose frappante, c’est la façon dont les challengers historiques de Meta sur le social — Snapchat, Pinterest et TikTok — sont passés du statut de curiosités marginales à celui d’acteurs très performants sur le segment le plus prisé de la publicité digitale : le direct response.
C’est justement ce que nous faisons avec Coudac pour nos clients : amener un utilisateur jusqu’à l’acte de conversion final, afin de générer un retour sur investissement mesurable. C’est ce que recherchent précisément les PME et les ETI, qui n’ont pas les mêmes moyens que les grands groupes et qui ont besoin de rentabilité immédiate. Historiquement, Meta régnait en maître sur ce segment, mais il a fallu du temps aux concurrents pour se mettre au niveau. Ils y sont finalement parvenus.
Snapchat : du social à la performance
Evan Spiegel, CEO et fondateur de Snapchat, décrit parfaitement cette évolution dans sa lettre « 13 Years at Snap ».
Selon lui, les revenus bas de funnel sont plus « collants » parce qu’ils sont étroitement liés aux objectifs commerciaux et aux retours positifs sur les dépenses publicitaires. À mesure que leur échelle augmente, ils deviennent plus prévisibles.
Snapchat s’est donc adapté depuis plusieurs années à ce cas d’usage, comme Meta l’avait fait depuis une dizaine d’années, ce qui lui permet aujourd’hui d’afficher de très bons résultats en direct response. Les revenus sur ce segment ont augmenté de plus de 16 %, grâce notamment à l’amélioration de la plateforme publicitaire et à l’expansion du modèle 7-Day ROAS, qui facilite l’identification des utilisateurs susceptibles de convertir directement.
Snapchat ne compte pas s’arrêter là. Comme l’a déclaré Derek Andersen (CFO), ils doivent continuer à développer rapidement la partie « bas de funnel » en introduisant de nouveaux placements publicitaires alimentés par l’automatisation et en poursuivant leurs investissements dans la plateforme d’apprentissage automatique.
Pinterest : la croissance du bas de funnel
Pinterest affiche aussi de bons résultats en direct response advertising grâce à plusieurs initiatives. À partir du premier trimestre 2025, sa fonctionnalité Performance Plus intégrera les enchères basées sur le ROAS, ce qui est essentiel pour convaincre les annonceurs.
Pinterest a également multiplié les initiatives destinées au bas de funnel, comme les direct links ou la page de conversion. Certains grands annonceurs voient désormais plus de 80 % de leurs dépenses chez Pinterest consacrées à ces objectifs bas de funnel, un chiffre en nette hausse sur deux ans.
J’ai fait une vidéo dédiée au sujet
TikTok : de la viralité à l’e-commerce
La vraie surprise vient cependant de TikTok, qui allie la puissance virale de la vidéo à une logique e-commerce profondément intégrée. TikTok n’étant pas coté en bourse, il est plus difficile d’obtenir des chiffres, mais on sait qu’il est plus gros que Snapchat et Pinterest.
TikTok a, par exemple, conclu un partenariat avec Amazon pour monétiser la demande publicitaire d’Amazon. Les utilisateurs peuvent lier leurs deux comptes, voir des publicités ciblées par Amazon directement dans leur fil TikTok et acheter sans quitter l’application. Cette intégration procure un flux supplémentaire de données de conversion précieuses pour TikTok et familiarise progressivement les utilisateurs avec l’achat sur la plateforme.
Ce partenariat pourrait devenir conflictuel à terme, car si des annonceurs présents sur Amazon obtiennent de bons résultats sur TikTok, ils pourraient transférer leurs budgets directement sur TikTok, sans passer par Amazon. Cela n’est pas anodin, car Amazon est justement celui qui embête le plus Google, en le menaçant directement sur son cœur de métier : la publicité dans les résultats de recherche.
Amazon : la plus grande menace pour Google
Amazon, longtemps considéré uniquement comme un géant du e-commerce, est désormais un poids lourd de la publicité : au deuxième trimestre 2024, ses revenus publicitaires ont atteint 12,8 milliards de dollars, soit 9 % de ses ventes nettes (contre 5 % en 2020).
Selon le Wall Street Journal, la part de Google dans le marché de la publicité sur les moteurs de recherche passera sous la barre des 50 % cette année, pour la première fois depuis une décennie. La raison ? De plus en plus de consommateurs commencent directement leur recherche de produits sur Amazon.
Amazon n’est plus un simple site marchand parmi d’autres : il constitue la première étape du parcours d’achat. Cette force tient au fait qu’Amazon dispose de données transactionnelles internes, dont ne dispose pas Google. Ces données alimentent les publicités natives en recherche, sans avoir besoin d’échanger des informations avec des tiers, ce qui limite l’impact d’éventuelles restrictions de confidentialité.
Ainsi, Amazon capte une audience déjà orientée vers la conversion, ce qui est une opportunité formidable pour les annonceurs. À cela s’ajoute l’expansion de la publicité sur Prime Video et d’autres plateformes, qui vient encore élargir le champ d’action.
Globalement, on observe une « triopolisation » du marché, avec Amazon qui rejoint Google et Meta comme troisième acteur majeur. D’autres concurrents comme Perplexity ou Open AI démarrent tout juste la monétisation, mais pourraient s’avérer dangereux si la croissance de l’engagement des utilisateurs se poursuit, car ils attaquent le nerf de la guerre de Google : la captation des requêtes.
L’émergence de nouvelles plateformes de recherche
En décembre 2024, ChatGPT dépassait déjà les 300 millions d’utilisateurs actifs hebdomadaires pour plus d’un milliard de messages échangés quotidiennement.
Perplexity, de son côté, propose déjà « Buy with Pro » aux États-Unis, permettant d’acheter un produit directement dans la plateforme.
Pour l’instant, ils ne monétisent pas cette fonctionnalité, leur objectif étant de maximiser l’engagement. Mais d’ici quelques années, une combinaison d’engagement fragmenté, d’expériences conversationnelles inédites et d’offres publicitaires performantes pourrait menacer le monopole de Google.
L’augmentation de la pression règlementaire sur les deux géants
C’est à ce moment précis, quand le monopole de Google est le plus exposé, que la justice américaine a décidé de mettre la pression, avec un procès antitrust mené par le Département de la Justice (DoJ). Celui-ci l’accuse d’abuser de sa position dominante et plaide pour des mesures fortes : démantèlement d’actifs-clés comme Chrome ou partie de la régie publicitaire, ou obligation de licencier (c’est-à-dire mettre sous licence) son index de recherche à des concurrents. L’ouverture de l’index permettrait notamment à des moteurs de recherche ou start-up IA d’améliorer rapidement leur qualité.
Meta n’est pas non plus épargnée, surtout en Europe, où les contraintes liées à l’utilisation des données et à la publicité personnalisée se durcissent. Dans le cadre du DMA, Meta a dû proposer aux utilisateurs européens une version de sa plateforme avec des publicitées moins personnalisée, ce qui a un impact considérable sur son modèle économique.
Au final, le duopole voit sa position contestée : non seulement il est concurrencé sur ses marchés historiques (search et social) par des acteurs de plus en plus performants, mais il fait aussi face à une pression réglementaire accrue.
Partie 2 : Le nouvel eldorado
L’essor du retail media
Le retail media est un modèle publicitaire qui repose sur la rencontre directe entre le contenu, le merchandising et l’acte d’achat. Selon les projections d’eMarketer, ce segment pourrait atteindre 130 milliards de dollars de dépenses d’ici 2028, contre 128 milliards pour le social et 107 milliards pour le search, ce qui en ferait le principal levier de croissance.
Aux États-Unis, Amazon incarne la figure de proue de ce retail media, notamment parce qu’il sait intercepter le consommateur au moment décisif, juste avant la conversion. Là où Google intercepte l’intention de recherche et Meta capte l’attention sociale, le retail media s’invite directement dans le parcours d’achat, en magasin (par exemple chez Walmart) ou en ligne, grâce au triptyque : créativité, contextualisation (placement proche du point de vente) et pertinence (ciblage fondé sur les comportements d’achat).
La domination d’Amazon et la prolifération des RMN (retail media networks)
Amazon a montré la voie en transformant son e-commerce en régie intégrée. Aujourd’hui, il représente 75 % du marché du retail media aux États-Unis et connaît une croissance continue. D’autres acteurs se lancent à leur tour, y compris des start-up comme Instacart ou DoorDash, qui agrègent des milliers de marchands et enseignes locales. On assiste à la fois à une prolifération de ces « Retail Media Networks » (RMN) et, en parallèle, à un début de consolidation, où se créent de grands écosystèmes visant à agréger des retailers de taille moyenne ou régionale.
Pour Google et Meta, ce repositionnement est problématique. Leur domination reposait jusqu’ici sur leur data comportementale et la taille gigantesque de leurs audiences, tandis que le retail media s’appuie sur la « first party data » de transaction et la connaissance du parcours d’achat — atouts dont Google et Meta ne disposent pas, n’étant pas eux-mêmes des plateformes marchandes.
On peut aussi souligner l’exemple de Criteo, historiquement spécialiste du retargeting, qui a totalement réorienté sa stratégie vers le retail media.
L’émergence de ce nouveau segment pourrait redéfinir la répartition des budgets publicitaires et entraîner la création d’une multitude d’écosystèmes RMN, chacun apportant ses données propriétaires, son contexte d’achat spécifique et des solutions mesurables jusqu’à la conversion.
Selon la thèse d’Eric Seufert, « Everything is an Ad Network » : toute plateforme qui possède des données transactionnelles et une audience captive peut devenir une régie publicitaire. Le problème pour Meta et Google, c’est que dans cette troisième révolution, il ne s’agit plus de capturer l’attention ou l’intention, mais de jouer sur le terrain où la vente se réalise. Et ce terrain leur échappe en bonne partie.
Le « small platform syndrome »
Toutefois, pour que ces menaces se concrétisent, les nouveaux acteurs doivent surmonter un frein structurel que l’on appelle le « small platform syndrome ».
Pour qu’une plateforme publicitaire émergente rivalise avec les géants, elle doit prouver l’efficacité de sa technologie et offrir une performance équivalente ou supérieure. Or, pour affiner son ciblage et obtenir de bons résultats, elle a besoin de volumes élevés de conversions et d’annonceurs, qui eux-mêmes n’oseront pas investir beaucoup tant que la performance n’est pas prouvée.
C’est un cercle vicieux : pas de data sans budget, pas de budget sans performance, et pas de performance sans data.
Dans un contexte post-ATT où la collecte de données se complexifie, la situation est encore plus difficile pour les challengers. Ils doivent déployer des API de conversion, des clean rooms ou d’autres solutions techniques sophistiquées, exigeant beaucoup de ressources de la part des annonceurs.
Pourquoi un annonceur irait-il se compliquer la vie en testant un canal émergent incertain alors qu’il peut allouer plus de ressources à Google ou Meta ? Chez Coudac, nous constatons souvent que ce n’est pas que les canaux alternatifs ne fonctionnent pas, mais qu’on ne peut pas y investir suffisamment, car le coût (en temps et en argent) de mise en place et de gestion est trop élevé.
Les nouveaux concurrents l’ont compris, d’où leur stratégie de signer des partenariats avec des acteurs déjà installés, afin d’atteindre plus vite une masse critique (cf divers partenariats avec Amazon). Dans un écosystème publicitaire de plus en plus fragmenté, la plupart des annonceurs ne multiplieront pas à l’infini les canaux. Ils privilégient souvent le confort et la sécurité des grands leaders.
Partie 3 : Aux avant-gardes de la pub en ligne
Face à ces menaces, Meta et Google creusent encore l’écart grâce à des initiatives majeures, dont le principal objectif est de rendre leur écosystème incontournable, tout en rendant l’entrée des nouveaux venus plus complexe. Les investissements en IA jouent un rôle central, car ils améliorent la performance à toutes les étapes de la chaîne publicitaire.
IA et automatisation comme armes fatales
Meta l’illustre en soulignant qu’un million d’annonceurs ont utilisé ses outils d’IA pour générer plus de 15 millions d’annonces le mois dernier, sans aucune compétence technique particulière exigée. Les progrès en recommandation de contenu se traduisent directement en gains financiers.
Chez Google, l’IA s’intègre à la création d’annonces et à l’optimisation des campagnes, notamment avec Image Gen 3 (un modèle génératif avancé) et Performance Max, conçu pour automatiser la gestion des campagnes. Reproduire ces fonctionnalités est un double défi pour ses challengers, car il faut non seulement une infrastructure technique colossale, mais aussi la capacité à intégrer ces modèles de manière fluide dans l’expérience publicitaire. Or, Meta et Google disposent déjà d’une base d’annonceurs habitués à leurs produits, ce qui accélère l’amélioration de leurs modèles.
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Stratégies défensives et nouveaux formats
Ils lancent également des initiatives défensives ciblées. Comme Meta a répondu à TikTok en introduisant les Reels, Google réagit à la recherche conversationnelle avec les AI Overviews, qui offrent des résumés contextuels basés sur l’IA et commencent même à afficher des publicités dans ce format.
C’est une stratégie défensive visant à montrer que Google peut lui aussi évoluer rapidement pour monétiser ces nouvelles formes de recherche. Meta élargit son hégémonie avec la publicité Click-to-Message, permettant une interaction directe dans WhatsApp. Ce format fonctionne particulièrement bien dans des pays comme le Brésil, où WhatsApp est extrêmement ancré dans la vie quotidienne. Pour un challenger, s’aligner sur ce genre de format serait très difficile, car il faudrait déjà disposer d’une messagerie fiable et largement utilisée.
Enfin, Meta et Google préparent l’avenir en travaillant sur de nouveaux produits qui deviendront leur inventaire publicitaire de demain. Pour Meta, cela passe notamment par Threads, qui revendique déjà 275 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Pour Google, c’est l’expansion de YouTube, notamment sur les écrans connectés.
Les deux géants ne se contentent donc pas de défendre leurs positions historiques : ils s’attaquent également à la télévision, un marché ancestral en pleine mutation.
Un marché TV en pleine reconfiguration
Les coûts pub y augmentent, les audiences déclinent, ce qui ouvre une porte à Google et Meta pour attirer une partie des budgets télé. YouTube, par exemple, investit dans des contenus premium (comme les NFL Sunday Tickets) et souligne régulièrement qu’il représente plus de 10 % du temps passé à regarder la télévision par les Américains.
Meta, de son côté, mise sur la granularité de ses datas pour vampiriser les budgets TV et offrir aux annonceurs un niveau de précision impossible en télévision linéaire. J’en parle en détail dans le point numéro 2 de cette conférence.
Dans ce nouveau paysage de la TV connectée, d’autres dangers apparaissent : Netflix, Disney+ ou Prime Video développent aussi leurs offres publicitaires, misant sur leurs contenus premium pour justifier des CPM élevés. Les annonceurs, eux, apprécient la flexibilité du digital, où ils contrôlent mieux leurs coûts par impression. C’est un marché considérable : même quelques pourcents des budgets téléversés sur Google ou Meta représentent déjà des sommes colossales.
Conclusion
Pour conclure ce joyeux bordel , l’effritement du duopole n’a plus rien de spéculatif. Les nouveaux entrants mettent réellement à mal la domination historique de Meta et Google, alors même que la pression réglementaire n’a jamais été aussi forte.
Le risque ultime pour ces deux géants serait que la troisième vague de la publicité en ligne, celle du retail media, se déroule sans eux. Ils en sont bien conscients et tentent de contrer cette éventualité en investissant encore plus massivement dans leurs actifs historiques et en se positionnant sur de nouveaux marchés, comme la télévision, ou de nouveaux produits comme WhatsApp ou Threads.
Le terme qui décrit le mieux cette réalité est sans doute « fragmentation ». Les monopoles n’ont pas disparu et ne disparaîtront pas nécessairement, mais la performance peut se trouver à de nombreux endroits, sous forme de petits fragments.
Pour l’instant, ces fragments ne sont pas encore assez grands pour détrôner les leaders, mais ils suffisent à changer la donne et à redistribuer les cartes.
Merci pour votre lecture !
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